jeudi 21 novembre 2019

Japon – Chine : concurrences régionales, ambitions mondiales

Kikagaku Moyo, House in the tall grass

En 2010, la Chine dépasse le Japon comme deuxième puissance économique mondiale affirmant ainsi un statut nouveau non seulement en Asie mais aussi dans le monde. Cet événement est la conséquence d'une croissance chinoise soutenue depuis les années 1990 alors que dans la même période, le Japon connaît une longue récession ayant mis fin au "miracle japonais". Pour autant, le PIB/hab chinois reste dix fois mois important qu'au Japon traduisant le différentiel de développement entre les deux pays. Ennemis durant la 2e Guerre mondiale et pendant la Guerre froide, les deux pays sont à la fois des partenaires économiques de plus en plus rapprochés mais également concurrents pour le leadership en Asie. Est-ce que la croissance et les ambitions de la puissance émergente sont compatibles, tant au sein de l'espace asiatique que mondial, avec les intérêts de  la puissance installée, le Japon ?

I.                              Deux puissances asiatiques aux profils différents

A.                                                                     Une puissance continentale et une puissance maritime



Avec respectivement 9.7M de Km² et 378 000 Km², les territoires de la Chine et du Japon ne sont en rien comparables. Avec la 4ème superficie mondiale, la Chine fait figure d’Etat-continent avec des distances considérables. L’archipel nippon s’étend sur 3000 Km, de la latitude du Québec à celle de Miami. La Chine est un territoire d’un seul tenant, si l’on exclut l’île de Taiwan, Etat indépendant de facto depuis 1949. Le Japon est un archipel composé de milliers d'îles dont 4 grandes îles (Hokkaido, Honshu, Shikoku et Kyushu) et de 430 petites îles habitées. Avec l’espace économique de sa zone économique exclusive (ZEE), il se situe au 6è rang mondial.
La Chine est un gros producteur de matières premières, surtout destinées à sa consommation intérieure : 1er producteur mondial de blé, 2ème producteur de maïs ; 1er producteur d’or, de fer et de charbon, 5ème pour le pétrole ; 1er pour l'hydroélectricité et l'énergie solaire,.... Le Japon est en revanche faiblement doté en ressources naturelles et dépendant de l’extérieur pour les matières premières.

B.  Le Japon, un archipel développé, une puissance établie

L’archipel connaît un très important essor après sa défaite militaire de 1945. Il bénéficie, avec le contexte de la guerre froide, du soutien géopolitique des Etats-Unis.  Il connaît alors un exode rural rapide et une forte croissance urbaine liée à l’industrialisation . Les investissements sont le fait des grandes entreprises japonaises (keiretsu remplaçant depuis les années 1950 les zaibatsu) elles-mêmes, soutenues par l’Etat . Le pays a suivi une industrialisation soutenue (11% de croissance annuelle dans les années 1950-60) par montée de gamme (dit en "vol d'oies sauvages") qui lui permet de passer du statut de pays-atelier à grande puissance industrielle à la pointe de l'innovation et le hissant au rang de 2e puissance économique mondiale dès 1968. Malgré la crise des années 1990, le Japon est l’un des pays les plus développés au monde. 

C.  La Chine, une immensité continentale entre atouts et faiblesses, une puissance émergente

La Chine s’est développée dans le cadre d’une économie planifiée depuis 1949, mais très perturbée par les contraintes idéologiques et les revirements de ligne politique sous Mao jusqu’aux années 1970. Avec Deng Xiaoping, le pays s’ouvre et lance d’importantes réformes économiques à partir de 1979 (ZES). Un autre tournant a lieu dans les années 1990 avec la généralisation  de l’ouverture du territoire en 1992 et une privatisation partielle de l'économie. En 2001, la Chine adhère même à l’OMC. Le territoire conjugue actuellement les atouts de l’immensité de sa main d’œuvre et de son marché intérieur en expansion. Si les grandes villes du littoral et celles de l’intérieur abritent une classe moyenne en forte croissance, des provinces entières à l’intérieure du pays, encore très rurales, restent en marge du développement.


II.     Japon et Chine : les concurrences régionales

A. Deux acteurs économiques majeurs en Asie

La Chine et le Japon sont les deux principales puissances économiques et commerciales de l’Asie et s’en disputent le leadership. Leur PIB cumulé (14 000 milliards de $) correspond à plus de deux tiers du PIB asiatique. Leur commerce extérieur régional, estimé à 63%  de celui du continent, structure les échanges en Asie mais le commerce chinois est davantage tourné vers son aire continentale (43% des échanges chinois vers l'Asie hors Japon contre 29% pour le Japon)

La Chine s’impose aujourd’hui comme le géant régional. En 30 ans, elle a comblé son retard en s’ouvrant aux échanges commerciaux et aux investissements étrangers qui lui ont permis de devenir «l’atelier du monde », notamment celui de l’Asie. Aujourd’hui, elle ambitionne de détrôner le Japon sur le plan technologique en Asie en devenant « le laboratoire du monde ».

Le Japon demeure toutefois dominant en matière de recherche et de développement. Il consacre 3.6% de son PIB à la recherche et au développement (RD), contre 1.5% pour la Chine. Sa suprématie est donc technologique : dans les domaines de la robotique, de l’électronique, de l’informatique, des nanotechnologies ou de l’environnement, les entreprises japonaises sont nettement plus innovantes que les entreprises chinoises. Sa suprématie face à la Chine est également financière : le surplus d’épargne, notamment celle des ménages, lui a permis d’accumuler un important patrimoine à l’étranger au point d’être toujours aujourd’hui le 1er créancier de l’Asie de l’Est et du Sud.

B. Une interdépendance croissante entre les deux pays

Les relations commerciales sino-japonaises se sont intensifiées. La Chine est devenue en 2009 le 1er partenaire commercial du Japon et représente 20% de ses échanges extérieurs. Le Japon est le 3ème client (8%) et le 1er fournisseur de la Chine (13%). Entre 1972 et 2011, les échanges entre les deux pays ont été multipliés par 300. Leur commerce bilatéral représente 3% du commerce mondial.

Les investissements croisés entre les deux pays sont également importants. Le Japon a directement contribué à l’essor de la Chine en y investissant et en délocalisant ses usines massivement. Le Japon est le 1er investisseur étranger en Chine, loin devant les Etats-Unis et l’UE, à l’exception des investissements chinois de Taiwan ou de Hong Kong. Près de 20 000 entreprises japonaises sont présentes en Chine aujourd’hui.

Les flux de personnes s’intensifient entre les deux pays. Longtemps peu nombreux (politique ancienne du Japon qui vise à limiter l’immigration), les ressortissants chinois installés au Japon sont actuellement estimés à près de 500 000, majoritairement des étudiants et des expatriés des grandes firmes chinoises. Les Japonais résidant en Chine sont environ 127 000, dont 50 000 à Shanghai.

C.Des relations diplomatiques tendues entre des rivaux stratégiques

L’histoire récente entretient un climat de rivalité entre les deux Etats. Alors que les relations diplomatiques ont été rétablies en 1972, le souvenir des guerres sino-japonaises, de l’occupation japonaises en Chine (1931 – 1945, dont le massacre de Nankin en 1937) alimentent les tensions entre les deux pays, la diplomatie chinoise pesant notamment pour empêcher Tokyo d’entrer au Conseil de sécurité des Nations unies. Cette situation reflète également le fait que les deux pays se disputent le leadership stratégique en Asie de l’Est et du Sud, même si, depuis le traité de paix et d’amitié bilatéral signé en 1978, ils se sont engagés à ne pas « rechercher l’hégémonie dans la région Asie Pacifique ».

Certains contentieux persistent entre les deux Etats, notamment au sujet des frontières maritimes. [schéma cours espaces maritimes] Les îlots inhabités de Diaoyu (en chinois) – Senkaku (en japonais) situés en mer de Chine orientale et annexés par le Japon en 1895 sont toujours revendiqués par la Chine. Les fonds marins environnants les deux pays et reconnus pour leurs réserves potentielles en hydrocarbures off-shore sont également sources de tension. La Chine reste en outre le principal allié de la Corée du Nord qui menace régulièrement le Japon avec des essais de missiles balistiques entretenant ainsi une course aux armements en extrême-Orient. Enfin, de régulières tensions mémorielle resurgissent à mesure que les nationalistes japonais, flattés par le Premier Ministre Shinzo Abe, ravivent la mémoire de "héros" de l'armée impériale considérés comme des criminels de guerre en Chine ou occultent les crimes commis par le Japon pendant la 2e GM (Voir ici)

Les tensions n’empêchent pas cependant des manifestations de solidarité mutuelle. A l’occasion du tremblement de terre meurtrier de la province sud du Sichuan en 2008, le Japon a proposé son aide à la Chine et inversement lors du tsunami de mars 2011 dans la région de Sendai au nord-est du Japon.



III.                       Japon et Chine : des ambitions mondiales

A. Deux puissances économiques de rang mondial

La Chine et le Japon sont les 2ème et 3ème puissances économiques mondiales, avec des PIB respectifs de 13500 et 5000 milliards de $ en 2018. Ils représentent à eux deux près de 20% du PIB mondial. La Chine a opéré un rattrapage rapide depuis la fin des années 1970, tandis que le PIB japonais stagne ou croît faiblement selon la tendance de celle des pays les plus développés.

Les deux pays sont également des puissances commerciales extraverties. La Chine est le 1er exportateur mondial exportant deux fois plus que le Japon, 4e mondial (respectivement 14 et 4% des exportations mondiales). Forts de leurs excédents commerciaux, les deux pays investissent massivement à l’étranger. Les deux pays sont ainsi devenus les 1ers créanciers des Etats-Unis puisqu’ils détiennent ensemble 45% des bons du Trésor en 2011 (émis pour financer le déficit budgétaire d’un pays – le Japon et la Chine qui les considèrent comme des placements financiers sûrs, achètent donc de la dette.)

La Chine est partie à la conquête du monde. Depuis 2000, les investissements chinois ont été multipliés par 20. Toutes les régions du monde et tous les secteurs d’activités sont concernés : achat de terres agricoles en Afrique et en Amérique du Sud, rachat d’entreprises aux Etats-Unis et en Europe, construction d’infrastructures dans les pays en développement. Aujourd'hui, la Chine porte le projet de "nouvelle route de la soie" visant à créer un pont logistique transcontinental entre la Chine et l'Europe.

Un pays qui se prépare depuis longtemps à la cohabitation
entre humains et robots.
Le Japon reste une formidable puissance économique, malgré la stagnation économique qui le mine depuis 20 ans. Il continue ainsi d’être un des acteurs majeurs de la mondialisation en particulier grâce au dynamisme des ses firmes manufacturières (notamment la firme Toyota, 1er constructeur mondial automobile). Son patrimoine à l’étranger, qui s’élève à 2500 milliards de $, lui rapporte bien plus que son commerce.


B. Des puissances géopolitiques ambitieuses mais inégales

1-La volonté d’une plus grande influence politique et culturelle – soft power
Le Japon et la Chine ont longtemps été des « nains politiques » et pèsent actuellement différemment dans les rapports de force internationaux actuels.

Afficher l'image d'origineDémilitarisé à l’issue de la Seconde Guerre mondiale et  contributeur important à l’aide publique au développement, le Japon revendique un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. Parallèlement, il s’assure une image positive dans le monde en vantant le Cool Japan véhiculé notamment par les mangas, la mode mais aussi sa musique, la "J-Pop". Le Japon s'apprête également à accueillir les JO à Tokyo en 2020.   
Quel meilleur ambassadeur du Japon que Totoro?
Mon voisin Totoro, film d'animation d'Hayao Miyazaki, 1988
                                                              
La Chine ambitionne de jouer un rôle politique mondial. Puissance émergente, elle développe les relation avec les autres émergents (BRICS) Elle souhaite égaler, voire dépasser les Etats-Unis et défend pour cela l’idée d’un partenariat privilégié avec eux, parfois surnommé « le G2 ». La conquête de l’espace, l’ouverture d’instituts Confucius, le développement de médias internationaux (CCTV, agence Xinhua), le nombre croissant d’étudiants chinois à l’étranger (1,27 millions en 2011), une diaspora très active de 50 millions de Chinois d’outre-mer présents dans 150 pays, l’organisation de grands événements internationaux (JO en 2008, Exposition universelle en 2010, JO d'hiver en 2022) sont les signes de l’efficacité de son soft power et de son aspiration à devenir une superpuissance.  
                                                 
2-Les deux pays aspirent également à devenir des puissances militaires – hard power.

L’armée japonaise participe depuis 1992 aux opérations de maintien de la paix (Irak en 2003, Afghanistan en 2001). Elle dispose du 6ème budget militaire mondial avec 51 milliards de dollars même s'il s'agit officiellement d'une "force d'autodéfense" car la constitution japonaise interdit au pays de déclarer la guerre. L’"Armée populaire de libération" chinoise forte de ses 2.2 millions de soldats ne cesse de se moderniser. La Chine, puissance nucléaire, dispose du 2ème budget militaire du monde. Les deux pays sont donc engagés dans une course aux armements mais le déséquilibre humain et militaire entre les deux pays pousse le Japon à se placer sous la protection militaire des EU. 
                       

C. Des signes de fragilités et de faiblesse

Le Japon est aujourd’hui fragilisé. Le pays doit faire face depuis le milieu des années 2000 à une baisse de sa population, les décès dépassant les naissances. Sa population vieillit, la part des plus de 65 ans (23 %) étant près du double de celle des moins de 15 ans (13%). La précarisation de sa population (multiplication du nombre des sans-abris depuis la crise financière de 1990 et taux de croissance éco faible), la vulnérabilité face aux risques naturels (poids de la catastrophe écologique et industrielle de 2011), la concurrence d’autres puissances asiatiques (Chine, Corée, Inde) remettent en cause son statut de grande puissance.

La réussite chinoise est également fragile. Sa stratégie d’enrichissement économique la rend doublement dépendante de l’étranger : encore qualifiée d’« atelier du monde », stade qu’elle souhaite dépasser, elle continue de constituer une plate-forme d’assemblage de produits conçus ailleurs ; elle doit s’approvisionner de façon importante en matières premières, ce qui induit de fortes importations en provenance de l’Afrique, du MO et de l’Asie centrale notamment.  Elle doit également composer avec la méfiance de ses partenaires commerciaux. Elle est souvent accusée de concurrence déloyale à l’OMC par les Etats-Unis et les pays européens du fait de sa stratégie de conquête  des marchés dénoncée comme agressive. En 2018, une guerre commerciale a été lancée par le président Trump pour ces raisons. De plus, le régime communiste doit faire face aux réprobations internationales sur la question des droits de l’homme, aux contestations sociales au sein même du pays et aux aspirations populaires à plus de liberté et à moins de corruption comme en témoigne la crise de l'automne 2019 à Hong-Kong. 


Conclusion La croissance chinoise constitue donc un défi à la puissance japonaise en Asie. Puissance complète aux ambitions mondiales, la Chine semble en mesure de supplanter le Japon comme principale puissance régionale et comme puissance mondiale. Pour autant, la force de la Chine pourrait également constituer une faiblesse car de nature à encourager les autres puissances régionales comme l’Inde ou la Russie à se rapprocher du Japon pour contrebalancer l’influence chinoise. Le Japon peut en outre s’appuyer sur ses excellentes relations avec les EUA et donc constituer une sorte de pont entre les deux rives de l’Océan Pacifique. 


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