En 2010, la Chine dépasse le Japon comme deuxième puissance économique mondiale affirmant ainsi un statut nouveau non seulement en Asie mais aussi dans le monde. Cet événement est la conséquence d'une croissance chinoise soutenue depuis les années 1990 alors que dans la même période, le Japon connaît une longue récession ayant mis fin au "miracle japonais". Pour autant, le PIB/hab chinois reste dix fois mois important qu'au Japon traduisant le différentiel de développement entre les deux pays. Ennemis durant la 2e Guerre mondiale et pendant la Guerre froide, les deux pays sont à la fois des partenaires économiques de plus en plus rapprochés mais également concurrents pour le leadership en Asie. Est-ce que la croissance et les ambitions de la puissance émergente sont compatibles, tant au sein de l'espace asiatique que mondial, avec les intérêts de la puissance installée, le Japon ?
I.
Deux puissances asiatiques aux profils différents
A.
Une puissance continentale et une puissance maritime
Avec
respectivement 9.7M de Km² et 378 000 Km², les territoires de la Chine et
du Japon ne sont en rien comparables. Avec la 4ème superficie
mondiale, la Chine fait figure d’Etat-continent avec des distances considérables. L’archipel
nippon s’étend sur 3000 Km ,
de la latitude du Québec à celle de Miami. La Chine est un territoire d’un seul tenant, si l’on
exclut l’île de Taiwan, Etat indépendant de
facto depuis 1949. Le Japon est un archipel composé de milliers d'îles dont
4 grandes îles (Hokkaido, Honshu, Shikoku et Kyushu) et de 430 petites îles
habitées. Avec l’espace économique de sa zone économique exclusive (ZEE), il se
situe au 6è rang mondial.
La Chine est
un gros producteur de matières premières, surtout destinées à sa consommation
intérieure : 1er producteur mondial de blé, 2ème producteur de maïs ; 1er
producteur d’or, de fer et de charbon, 5ème pour le pétrole ; 1er
pour l'hydroélectricité et l'énergie solaire,.... Le Japon est en revanche faiblement doté en ressources naturelles et
dépendant de l’extérieur pour les matières premières.
B. Le
Japon, un archipel développé, une puissance établie
L’archipel
connaît un très important essor après sa défaite militaire de 1945. Il
bénéficie, avec le contexte de la guerre froide, du soutien géopolitique des Etats-Unis. Il connaît alors un exode rural rapide et une forte croissance urbaine liée à
l’industrialisation . Les
investissements sont le fait des grandes entreprises japonaises (keiretsu remplaçant depuis les années 1950 les zaibatsu) elles-mêmes, soutenues par
l’Etat . Le pays a suivi une industrialisation soutenue (11% de croissance annuelle dans les années 1950-60) par montée de gamme (dit en "vol d'oies sauvages") qui lui permet de passer du statut de pays-atelier à grande puissance industrielle à la pointe de l'innovation et le hissant au rang de 2e puissance économique mondiale dès 1968. Malgré la
crise des années 1990, le Japon est l’un des pays les plus développés au monde.
C. La Chine , une immensité
continentale entre atouts et faiblesses, une puissance émergente
La Chine s’est
développée dans le cadre d’une économie planifiée depuis 1949, mais très
perturbée par les contraintes idéologiques et les revirements de ligne
politique sous Mao jusqu’aux années 1970. Avec Deng Xiaoping, le pays s’ouvre
et lance d’importantes réformes économiques à partir de 1979 (ZES). Un autre
tournant a lieu dans les années 1990 avec la généralisation de l’ouverture du territoire en 1992 et une privatisation partielle de l'économie. En 2001, la Chine adhère même à l’OMC. Le territoire
conjugue actuellement les atouts de l’immensité de sa main d’œuvre et de son
marché intérieur en expansion. Si les grandes villes du littoral et celles de l’intérieur
abritent une classe moyenne en forte croissance, des provinces entières à l’intérieure
du pays, encore très rurales, restent en marge du développement.
II. Japon et Chine : les concurrences régionales
A. Deux acteurs
économiques majeurs en Asie
La Chine et le
Japon sont les deux principales puissances économiques et commerciales de l’Asie
et s’en disputent le leadership. Leur PIB cumulé (14 000 milliards de $)
correspond à plus de deux tiers du PIB asiatique. Leur commerce extérieur
régional, estimé à 63% de celui du
continent, structure les échanges en Asie mais le commerce chinois est davantage tourné vers son aire continentale (43% des échanges chinois vers l'Asie hors Japon contre 29% pour le Japon)
La Chine
s’impose aujourd’hui comme le géant régional. En 30 ans, elle a comblé son
retard en s’ouvrant aux échanges commerciaux et aux investissements étrangers qui lui ont permis de devenir «l’atelier
du monde », notamment celui de l’Asie. Aujourd’hui, elle ambitionne de
détrôner le Japon sur le plan technologique en Asie en devenant « le
laboratoire du monde ».
Le Japon
demeure toutefois dominant en matière de recherche et de développement. Il
consacre 3.6% de son PIB à la recherche et au développement (RD), contre 1.5%
pour la Chine. Sa
suprématie est donc technologique : dans les domaines de la robotique, de
l’électronique, de l’informatique,
des nanotechnologies ou de l’environnement, les entreprises japonaises sont
nettement plus innovantes que les entreprises chinoises. Sa suprématie face à la Chine est également
financière : le surplus d’épargne, notamment celle des ménages, lui a permis
d’accumuler un important patrimoine à l’étranger au point d’être toujours
aujourd’hui le 1er créancier de l’Asie de l’Est et du Sud.
B. Une
interdépendance croissante entre les deux pays
Les relations
commerciales sino-japonaises se sont intensifiées. La Chine est devenue en 2009 le
1er partenaire commercial du Japon et représente 20% de ses échanges
extérieurs. Le Japon est le 3ème client (8%) et le 1er
fournisseur de la Chine
(13%). Entre 1972 et 2011, les échanges entre les deux pays ont été multipliés
par 300. Leur commerce bilatéral représente 3% du commerce mondial.
Les
investissements croisés entre les deux pays sont également importants. Le Japon
a directement contribué à l’essor de la Chine en y investissant et en
délocalisant ses usines massivement. Le Japon
est le 1er investisseur étranger en Chine, loin devant les Etats-Unis
et l’UE, à l’exception des investissements chinois de Taiwan ou de Hong Kong.
Près de 20 000 entreprises japonaises sont présentes en Chine aujourd’hui.
Les flux de
personnes s’intensifient entre les deux pays. Longtemps peu nombreux (politique
ancienne du Japon qui vise à limiter l’immigration), les ressortissants chinois
installés au Japon sont actuellement estimés à près de 500 000, majoritairement
des étudiants et des expatriés des grandes firmes chinoises. Les Japonais
résidant en Chine sont environ 127 000, dont 50 000 à Shanghai.
C.Des relations
diplomatiques tendues entre des rivaux stratégiques
L’histoire
récente entretient un climat de rivalité entre les deux Etats. Alors que les
relations diplomatiques ont été rétablies en 1972, le souvenir des guerres
sino-japonaises, de l’occupation japonaises en Chine (1931 – 1945, dont le
massacre de Nankin en 1937) alimentent les tensions entre les deux pays, la
diplomatie chinoise pesant notamment pour empêcher Tokyo d’entrer au Conseil de
sécurité des Nations unies. Cette situation reflète également le fait que les
deux pays se disputent le leadership stratégique en Asie de l’Est et du Sud,
même si, depuis le traité de paix et d’amitié bilatéral signé en 1978, ils se
sont engagés à ne pas « rechercher l’hégémonie dans la région Asie
Pacifique ».
Certains
contentieux persistent entre les deux Etats, notamment au sujet des frontières
maritimes. [schéma cours espaces maritimes] Les îlots inhabités de Diaoyu (en chinois) – Senkaku (en
japonais) situés en mer de Chine orientale et annexés par le Japon en 1895 sont
toujours revendiqués par la Chine. Les fonds marins environnants les deux
pays et reconnus pour leurs réserves potentielles en hydrocarbures off-shore
sont également sources de tension. La Chine reste en outre le principal allié de la Corée du Nord qui menace régulièrement le Japon avec des essais de missiles balistiques entretenant ainsi une course aux armements en extrême-Orient. Enfin, de régulières tensions mémorielle resurgissent à mesure que les nationalistes japonais, flattés par le Premier Ministre Shinzo Abe, ravivent la mémoire de "héros" de l'armée impériale considérés comme des criminels de guerre en Chine ou occultent les crimes commis par le Japon pendant la 2e GM (Voir ici)
Les tensions
n’empêchent pas cependant des manifestations de solidarité mutuelle. A
l’occasion du tremblement de terre meurtrier de la province sud du Sichuan en
2008, le Japon a proposé son aide à la
Chine et inversement lors du tsunami de mars 2011 dans la
région de Sendai au nord-est du Japon.
III.
Japon et Chine : des ambitions mondiales
A. Deux
puissances économiques de rang mondial
La Chine et le
Japon sont les 2ème et 3ème puissances économiques
mondiales, avec des PIB respectifs de 13500 et 5000 milliards de $ en 2018. Ils représentent à eux deux près de 20%
du PIB mondial. La Chine
a opéré un rattrapage rapide depuis la fin des années 1970, tandis que le PIB
japonais stagne ou croît faiblement selon la tendance de celle des pays les
plus développés.
Les deux pays
sont également des puissances commerciales extraverties. La Chine est le 1er
exportateur mondial exportant deux fois plus que le Japon, 4e mondial (respectivement 14 et 4% des exportations mondiales). Forts de leurs excédents commerciaux, les deux pays investissent
massivement à l’étranger. Les deux pays sont ainsi
devenus les 1ers créanciers des Etats-Unis puisqu’ils détiennent ensemble 45%
des bons du Trésor en 2011 (émis pour financer le déficit budgétaire d’un pays
– le Japon et la Chine qui les considèrent comme des placements financiers
sûrs, achètent donc de la dette.)
La Chine est
partie à la conquête du monde. Depuis 2000, les investissements chinois ont été
multipliés par 20. Toutes les régions du monde et tous les secteurs d’activités
sont concernés : achat de terres agricoles en Afrique et en Amérique du
Sud, rachat d’entreprises aux Etats-Unis et en Europe, construction
d’infrastructures dans les pays en développement. Aujourd'hui, la Chine porte le projet de "nouvelle route de la soie" visant à créer un pont logistique transcontinental entre la Chine et l'Europe.
Un pays qui se prépare depuis longtemps à la cohabitation entre humains et robots. |
B. Des puissances
géopolitiques ambitieuses mais inégales
1-La volonté
d’une plus grande influence politique et culturelle – soft power
Le Japon et la Chine ont longtemps été des
« nains politiques » et pèsent actuellement différemment dans les
rapports de force internationaux actuels.
Démilitarisé à
l’issue de la Seconde Guerre mondiale et contributeur important à
l’aide publique au développement, le Japon revendique un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU.
Parallèlement, il s’assure une image positive dans le monde en vantant le Cool Japan véhiculé notamment par les mangas, la mode mais aussi sa musique, la "J-Pop". Le Japon s'apprête également à accueillir les JO à Tokyo en 2020.
Quel meilleur ambassadeur du Japon que Totoro? Mon voisin Totoro, film d'animation d'Hayao Miyazaki, 1988 |
La
Chine ambitionne de jouer un rôle politique mondial. Puissance émergente, elle développe les relation avec les autres émergents (BRICS) Elle
souhaite égaler, voire dépasser les Etats-Unis et défend pour cela l’idée d’un
partenariat privilégié avec eux, parfois surnommé « le G2 ». La
conquête de l’espace, l’ouverture d’instituts Confucius, le développement de médias internationaux (CCTV, agence Xinhua), le
nombre croissant d’étudiants chinois à l’étranger (1,27 millions en 2011), une diaspora
très active de 50 millions de Chinois d’outre-mer présents dans 150 pays, l’organisation de grands événements
internationaux (JO en 2008, Exposition universelle en 2010, JO d'hiver en 2022) sont les signes de
l’efficacité de son soft power et de son aspiration à devenir une
superpuissance.
2-Les deux
pays aspirent également à devenir des puissances militaires – hard power.
L’armée
japonaise participe depuis 1992 aux opérations de maintien de la paix (Irak en
2003, Afghanistan en 2001). Elle dispose du 6ème budget militaire
mondial avec 51 milliards de dollars même s'il s'agit officiellement d'une "force d'autodéfense" car la constitution japonaise interdit au pays de déclarer la guerre. L’"Armée populaire de libération" chinoise forte de ses 2.2 millions de soldats ne cesse de
se moderniser. La Chine, puissance nucléaire, dispose du 2ème budget militaire
du monde. Les deux pays sont donc engagés dans une course aux armements mais le déséquilibre humain et militaire entre les deux pays pousse le Japon à se placer sous la protection militaire des EU.
C. Des signes de
fragilités et de faiblesse
Le Japon est
aujourd’hui fragilisé. Le pays doit faire face depuis le milieu des années 2000
à une baisse de sa population, les décès dépassant les naissances. Sa
population vieillit, la part des plus de 65 ans (23 %) étant près du double de celle
des moins de 15 ans (13%). La précarisation de sa population (multiplication du
nombre des sans-abris depuis la crise financière de 1990 et taux de croissance
éco faible), la vulnérabilité face aux risques naturels (poids de la
catastrophe écologique et industrielle de 2011), la concurrence d’autres
puissances asiatiques (Chine, Corée, Inde) remettent en cause son statut de
grande puissance.
La réussite
chinoise est également fragile. Sa stratégie d’enrichissement économique la
rend doublement dépendante de l’étranger : encore qualifiée d’« atelier
du monde », stade qu’elle souhaite dépasser, elle continue de constituer
une plate-forme d’assemblage de produits conçus ailleurs ; elle doit
s’approvisionner de façon importante en matières premières, ce qui induit de
fortes importations en provenance de l’Afrique, du MO et de l’Asie centrale
notamment. Elle doit également composer
avec la méfiance de ses partenaires commerciaux. Elle est souvent accusée de
concurrence déloyale à l’OMC par les Etats-Unis et les pays européens du fait
de sa stratégie de conquête des marchés
dénoncée comme agressive. En 2018, une guerre commerciale a été lancée par le président Trump pour ces raisons. De plus, le régime communiste doit faire face aux
réprobations internationales sur la question des droits de l’homme, aux
contestations sociales au sein même du pays et aux
aspirations populaires à plus de liberté et à moins de corruption comme en témoigne la crise de l'automne 2019 à Hong-Kong.
Conclusion : La croissance chinoise constitue donc un défi à la puissance japonaise en Asie. Puissance complète aux ambitions mondiales, la Chine semble en mesure de supplanter le Japon comme principale puissance régionale et comme puissance mondiale. Pour autant, la force de la Chine pourrait également constituer une faiblesse car de nature à encourager les autres puissances régionales comme l’Inde ou la Russie à se rapprocher du Japon pour contrebalancer l’influence chinoise. Le Japon peut en outre s’appuyer sur ses excellentes relations avec les EUA et donc constituer une sorte de pont entre les deux rives de l’Océan Pacifique.
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