jeudi 14 novembre 2019

Mumbai : modernité, inégalités

En quoi la ville de Mumbai illustre-t-elle les défis d'une métropole émergente ? 



Ananda Shankar : reprises du rock au sitar illustrant une ville où se rencontrent culture occidentale et indienne 


I. Mumbai, une métropole émergente

A. Une ville industrielle et portuaire ancienne marquée par une forte croissance démographique

Avec une aire urbaine de 21 millions d’habitants (dont 13 intra-muros), Mumbai est devenue une mégapole et la ville la plus peuplée du pays, à peu près à égalité avec l’agglomération de Delhi (19 millions) et assez loin devant Calcutta (aujourd’hui Kolkata, 15 millions). La population de Mumbai a connu une très forte croissance depuis l’indépendance. La croissance urbaine devrait se poursuivre au même rythme dans les prochaines décennies.

Cette augmentation de la population est majoritairement due aux migrations : l’exode rural est très fort en Inde où le taux d’urbanisation de la population urbaine est faible en Inde, autour de 32 %. Le pays réalise sa transition urbaine : la croissance générale de la population indienne est très forte. La richesse de Mumbai, par rapport aux campagnes environnantes, la rend très attractive pour l’ensemble du pays. 
La mousson à Mumbai


The gateway of India : les traces de la colonisation britannique
et attraction touristique dans le quartier du Fort


B. Une métropole insérée dans la mondialisation

Mumbai est aujourd’hui une ville mondiale de second rang : selon le classement des villes mondiales du GaWC (Globalization and World Cities Study Group and Netwok), Mumbai est passée depuis 2004 d’un statut de ville mondiale de rang 4 à une ville de rang 3. Si son rayonnement à l’échelle nationale et continentale est évident, il reste encore limité à l’échelle mondiale, du fait de sa dépendance : une grande partie de son activité est liée à la sous-traitance et à des délocalisations de firmes issues des pays du Nord.
Mumbai est passée de la production industrielle à la prestation de services et s’insère de mieux en mieux dans la mondialisation : son activité industrielle représente 25 % de celle du pays; c'est la capitale financière de l'Inde : 70 % des transactions de capitaux de l’économie indienne y sont réalisés. Mumbai compte parmi les 10 plus importantes places financières mondiales par l’importance des flux. Elle abrite la Banque de réserve indienne, la Bourse de Mumbai et la Bourse nationale d’Inde.
C'est enfin un important centre intellectuel et exerce un soft power relativement important : la ville et l’un des principaux pôles d’enseignement supérieur et de recherche en Asie du Sud : institut Tata pour la recherche fondamentale, centre de recherche atomique Bhabha, université de Mumbai. De plus, Mumbai est la capitale du divertissement indien : elle abrite la plupart des studios de film et de télévision indiens (à Film City). On a forgé pour la désigner le terme de Bollywood qu’on utilise aujourd’hui pour qualifier le cinéma indien dans son ensemble alors que les films tournés à Mumbai ne représentent que 20% de la production nationale (soit plus de 200 films par an tout de même !).

Mumbai est enfin un important noeud de communication dans le réseau de transport mondial :
- Portuaire (40 % du commerce maritime indien). Les infrastructures portuaires s'étendent sur une dizaine de km, sur la façade orientale de la presqu'île. De nouvelles zones industrialo-portuaires se sont déplacées de l'autre côté de la baie de Thane, au Nord et à l'Est.
- Aéroportuaire : 1er aéroport de l'Inde devant Delhi, avec 25 millions de passagers, presque 25 % du trafic intérieur et 40 % trafic international du pays. L'aéroport de Mumbai est la porte d'entrée de l'Inde. C'est le premier aéroport d'Asie du sud. 

C. La traduction sociale et spatiale de l'émergence

Spatialement : Le quartier d'affaires et d'administration le plus ancien est assez disparate et se situe au sud de la presqu'île, dans le centre-ville, partie la plus aisée de la ville : dans le quartier du Fort et dans celui, tout proche, de Nariman Point, sont juxtaposés des bâtiments anciens de l'époque coloniale et des hautes tours récentes. Un second CBD a été créé plus récemment à partir des années 1980 et est toujours en extension, affirmation du polycentrisme dans une agglomération tentaculaire : ce nouveau CBD de Bandra Kurla, au Nord du entre, près de l'aéroport, est hérissé de tours et abrite la bourse indienne.

Socialement : en Inde, la classe moyenne et supérieure regroupe désormais entre 200 et 250 millions de personnes. Cette élite, éduquée et attirée par le mode de vie anglo-saxon, s'affirme depuis les années 1990 et est principalement concentrée à Mumbai. Ainsi, la famille Tata est à la tête d'un vaste conglomérat (qui va de l'automobile à la chimie ou l'informatique) ou la famille des Ambani, à la tête du conglomérat Reliance Industries.

La situation de Mumbai est donc emblématique du dynamisme économique de l'Asie du Sud et de l'Est : les autorités, s'inspirant des réussite de Shanghai et de Singapour, veulent intégrer la ville à la mondialisation et en faire une ville mondiale de premier plan. Mumbai est devenue le symbole des réussites de l'Inde émergente.

II. Une mégapole face aux inégalités

Le développement durable de la ville passe par une meilleure prise en compte de la question sociale : les très fortes inégalités sont un frein au développement de Mumbai.

A. Des inégalités socio-spatiales extrêmes

À Mumbai, en raison de la situation particulière du centre sur une presqu'île étroite, la place manque : les prix peuvent donc être encore très élevés, la densité est maximale et le moindre espace est occupé. Cette pression foncière renforce les inégalités que l'on observe dans toutes les villes émergentes. Globalement, l'organisation socio-spatiale respecte un gradient de richesse qui diminue plus on va du Sud vers le Nord et de l'Ouest vers l'Est.

"Ma maison de 27 étages" Mukesh Ambani
Mumbai compte de nombreux quartiers aisés :
Des quartiers résidentiels aisés entourent le centre historique, le quartier du Fort : ceux de la pointe de Colaba et de la colline de Malabar (à l'Ouest, le long de l'Océan Indien), avec leurs villas, leurs parcs, leurs immeubles de standing ayant vue sur la baie. Lorsque ces quartiers sont anciens, ils ont connu depuis une trentaine d'années un phénomène de gentrification, contemporain du remplacement de la fonction industrielle de ces quartiers par des activités de service.

Les bidonvilles qui résultent de la croissance anarchique de la ville regrouperaient aujourd'hui plus de 6 millions d'habitants : on les nomme en Inde slums et on qualifie parfois Mumbai de « slumbay » pour qualifier une ville où plus de la moitié de la population municipale vit dans des conditions très précaires. La localisation de ces bidonvilles est souvent liée aux conditions naturelles ingrates qui rendent l'urbanisation plus difficile : près des marécages, de la mangrove, de la forêt du parc national Sanjay Gandhi dont ils grignotent l'espace. Ces bidonvilles peuvent être très étendus : c'est le cas de Dharavi qui serait le plus grand bidonville d'Asie avec près d'un million d'habitants, sur 175 hectares. Sa situation est très centrale dans l'agglomération de Mumbai, entre le centre ville et le nouveau CBD à proximité de l'aéroport. Il est construit sur un site marécageux, le long des lignes de chemin de fer desservant la banlieue et le reste du pays.

Les autres grands bidonvilles de Mumbai sont en périphérie, à plus de 20 km des quartiers centraux. Dans le centre cependant subsistent des bidonvilles beaucoup plus petits et d'ailleurs beaucoup plus centraux encore que celui de Dharavi : ces "slums pocket" se glissent dans des interstices urbains, sur des terrains vagues entre deux quartiers, le long d'une plage ou d'une voie ferrée.  Ces petits bidonvilles connaissent aujourd'hui une pression immobilière très forte car la municipalité souhaite embellir le centre-ville.

Mumbai est donc une juxtaposition de quartiers à l'urbanisme totalement opposé : l'extrême misère cohabite avec la plus grande richesse.

B. Des réseaux urbains absents ou saturés

Des transports publics insuffisants et saturés : Mumbai fait partie des métropoles indiennes qui disposent d'un véritable réseau de transports publics (autobus et trains de banlieue), mais qui reste très insuffisant et saturé, d'autant que le taux de motorisation de la population (voiture individuelle) est faible : les transports publics comptabilisent près de 90 % des déplacements journaliers. Chaque jour, 7 millions de personnes empruntent les trains suburbains. Les trains transportent ainsi deux fois et demi leur capacité de voyageurs. L'émergence de la classe moyenne va accroître les déplacements avec l'acquisition de véhicules individuels. La question des transports est donc l'un des grands enjeux d'une métropole qui a des ambitions mondiales.





Un accès à l'eau inexistant ou intermittent : la moitié de la population n'a pas accès à l'eau courante ou à des toilettes. La charge quotidienne d'aller chercher de l'eau repose sur les femmes et les enfants, au détriment du travail féminin et de la scolarisation. Là où l'eau est distribuée, la demande est tellement supérieure à l'offre que l'accès est souvent restreint à quelques heures par jour.

III. Une ville en voie de modernisation

Pour faire face à ces problèmes de l'accès au logement et de l'engorgement des transports, des politiques ont été et continuent d'être menées :

A. Une destruction des bidonvilles qui ne résout pas tous les problèmes

Les bidonvilles font l'objet de l'attention de plusieurs acteurs : de la part de promoteurs immobiliers car leur situation géographique est parfois centrale, ou de la part des autorités municipales qui essayent d'améliorer le parc de logement de la ville et les conditions sanitaires dans lesquelles vit la population. Le centre de Mumbai compte aujourd'hui de moins en moins de logements insalubres et ressemble de plus en plus à celui d'une autre métropole mondiale. Mais les nouveaux logements sont souvent à la périphérie (et aggravent le problème de la congestion des transports publics) et lorsqu'ils sont dans le centre, les loyers excèdent souvent les capacités financières de la population qui vivait dans le slum que l'on a détruit. La population pauvre est donc souvent rejetée à la périphérie (d’où le phénomène de gentrification du centre) et n'est d'ailleurs pas toujours relogée : les bidonvilles ne font parfois que se déplacer plus loin.
Le grand projet actuel concerne l'immense bidonville de Dharavi : depuis 2004, un vaste plan de développement est à l'ordre du jour : le Dharavi Redevelopment Project qui prévoit de reloger plusieurs dizaines de milliers d'habitants mais qui n'a guère rencontré de succès faute de moyens et d'accord avec les habitants. 

B. L'aménagement d'infrastructures modernes

- Désengorger le centre : la création du nouveau centre financier de Bandra Kurla vise à désengorger le sud de Mumbai, coincé sur sa presqu'île.
- Fluidifier la circulation : construction du pont maritime de Bandra Worli Sea Link, un pont à hauban reliant le quartier de Bandra au quartier de bureaux de Worli, en plein développement. Il réduit considérablement le temps de transport et est financé par un péage, mais contribue à l'augmentation du trafic routier. 
- Améliorer les transports en commun : la construction d'un métro a commencé en 2008 et les premières rames sont entrées  en service en 2014. En 2021, 63 km, 12 stations et 3 lignes devraient avoir été construites et permettre de transporter 1,5 millions de voyageurs par jour.
Image illustrative de l'article Métro de Mumbai
Plan du réseau du métro à Mumbai
- Développer le transport aérien par la construction d'un nouvel aéroport à Navi Mumbai, à l'est dont l'ouverture est prévue pour 2020. 

Conclusion : Mumbai est donc la vitrine du développement indien mais en présente aussi les limites avec une croissance urbaine mal maîtrisée et génératrice d’importantes inégalités socio-spatiales. Or, pour pouvoir concurrencer les autres grandes métropoles asiatiques telles Singapour, Shanghai ou Hong-Kong, la ville devra absolument résoudre ces problèmes. Elle pourra alors constituer un modèle pour les autres métropoles asiatiques ou d’Afrique confrontées aux mêmes difficultés.




Ne vous embarrassez pas de trop de précision dans la délimitation des espaces en rose, allez y grosso modo. 






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