A l'occasion du 50e anniversaire de la fin de la guerre, le président de la République française, François Hollande, se rend à Alger en décembre 2012 pour tenir un discours qui doit marquer un nouveau départ dans les relations franco-algériennes. S'exprimant devant le Parlement algérien, le président socialiste revient sur la difficulté d'écrire une histoire dépassionnée de la guerre tant les mémoires restent vives et souvent conflictuelles. En quoi ce discours témoigne des enjeux politiques relatifs à l’histoire et
aux mémoires de la Guerre d’Algérie tant en France qu’en Algérie ?
Ce discours revient tout d'abord sur différents enjeux mémoriels qui ont rendu difficile l'écriture de l'histoire de la Guerre d'Algérie. François Hollande rappelle la diversité des mémoires : "nous
avons le respect de la mémoire, de toutes les mémoires". Cette guerre s'est en effet caractérisée par la multiplicité de ses acteurs : nationalistes algériens, Français d'Algérie, appelés du contingent, harkis, "porteurs de valises" français, etc. Or, ces différents groupes mémoriels sont porteurs de mémoires douloureuses souvent incompatibles entre elles. C'est pourquoi F. Hollande précise que "Nous avons ce devoir de
vérité sur la violence, sur les injustices, sur les massacres, sur la
torture" rappelant que cette guerre fut très violente : attentats, massacres d'Algériens, torture durant la Bataille d'Alger par exemples. Le président français s'attarde plus particulièrement sur les massacres de Sétif : "Parmi ces
souffrances, il y a eu
les massacres de
Sétif et de
Guelma, de Kherrata, qui, je
sais, demeurent ancrés
dans la conscience
des Algériens, mais
aussi des Français.
Parce qu’à Sétif, le 8 mai 1945, le jour même où le monde triomphait de
la barbarie, la France manquait à ses valeurs universelles". Ces événements tragiques qui ont fait des milliers de victimes en Algérie et sont considérés parfois comme le point de départ du combat indépendantiste ont longtemps été occultés de la mémoire officielle de la guerre côté français.
François Hollande revient d'ailleurs à plusieurs reprises sur le discours officiel tenu par la France depuis la guerre. Il rappelle ainsi que pendant longtemps cette guerre "n’a pas dit son nom en France". Il a fallu en effet attendre 1999 pour que l'Etat français reconnaisse officiellement le terme de guerre pour qualifier cette période jusque-là désignée d'"opérations de maintien de l'ordre" ou "d'événements d'Algérie". De manière implicite, il clos également la polémique concernant la loi de 2005 dite loi Mekachera qui invitait les programmes scolaires à reconnaître "le rôle positif" de la colonisation et qui déclencha une vive polémique en France auprès des historiens rejetant cette velléité du pouvoir politique d'édicter une "histoire officielle" mais aussi en Algérie où on condamna l'idée que la colonisation puisse jamais avoir été "positive". C'est pourquoi le président de la République déclare de manière claire que "Pendant
132 ans, l’Algérie a été soumise à un système profondément injuste et brutal,
ce système a un nom, c’est la colonisation, et je reconnais ici les souffrances
que la colonisation a infligées au peuple
algérien". Il insiste sur l'importance de donner aux historiens accès aux archives car en France comme en Algérie les Etats ont été très frileux quant à l'ouverture de leurs archives notamment militaires (depuis 1992 dans le cas français). "C’est pourquoi" déclare-t-il, "il est nécessaire
que les historiens aient accès aux archives, et qu’une coopération dans ce
domaine puisse être engagée, poursuivie, et que progressivement, cette vérité
puisse être connue de tous". On sait en effet que le travail des historiens en Algérie est rendu particulièrement compliqué comme en a témoigné par exemple Mohammed Harbi qui a préféré partir en France mener ses recherches.
On peut enfin s'interroger sur les destinataires officiels et officieux de ce discours. Evidemment, le principal destinataire est le peuple algérien par l'entremise de ses représentants. Ce discours qui s'inscrit dans une suite de discours à portée mémorielle lancée par Jacques Chirac dans son discours du Vel d'Hiv de 1995 pourrait s'inscrire dans ce que certains appellent la "politique de repentance" même si François Hollande ne demande pas véritablement pardon mais se contente de reconnaître des "fautes" morales. D'ailleurs, il ménage la mémoire des expatriés d'Algérie quand il dit qu'"au-delà
des blessures, au-delà des deuils, demeure la relation exceptionnelle nouée
entre les Français
et les Algériens; les Français d’Algérie,
[..] qui avec le peuple algérien, avaient su nouer, dans des conditions difficiles,
intolérables parfois, des relations tellement humaines". Il s'adresse aussi à ""toutes les jeunesses" c'est-à-dire aux jeunesses françaises et algériennes mais on peut penser en particulier aux nombreux jeunes Français d'origine algérienne porteurs d'une double culture "qui veulent avoir foi en leur avenir, et donc qui veulent savoir d’où elles viennent" et qui ont parfois du mal à se positionner dans une société française marquée par la montée de la xénophobie et peuvent être tentés parfois par le repli identitaire.
Ce discours cherche donc à mettre fin aux nombreuses polémiques nées de la multiplicité des mémoires de la guerre. Pour François Hollande, "La
paix des mémoires, à laquelle j’aspire, repose sur la connaissance et la
divulgation de l’Histoire". Il revient donc aux historiens, par leur posture scientifique et objective, d'écrire la vérité sur cette guerre seule condition pour un véritable rapprochement franco-algérien que François Hollande appelle de ses voeux.
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