lundi 14 octobre 2019

États-Unis - Brésil : rôle mondial

Les E-U et le Brésil sont les deux 1ères puissances du continent américain. Ce sont deux pays au fort potentiel : deux territoires immenses offrant d’importantes ressources naturelles (pétrole, bois, fer, etc.). Ils sont mis en valeur par une population nombreuse : environ 320M d’hab (3ème mondial) pour les E-U et 200M (5ème mondial) pour le Brésil. Pour autant, malgré des points de convergences, beaucoup de choses séparent la 1e puissance mondiale de la puissance émergente latino-américaine engluée depuis 2011 dans une grave crise économique remettant en cause ses ambitions. L’étude comparée de l’influence internationale des EU et du Brésil permettra donc de mesurer la différence entre une puissance globale et installée et une puissance émergente. 


I. Des rôles mondiaux différents

A. Deux grandes puissances économiques

En termes économiques, nous avons affaire à deux puissances économiques même si très inégales car la 1e puissance économique mondiale a un PIB environ 8 fois supérieur à celui de la 7e puissance économique mondiale. Les EU représentent 68% du PIB continental mais le Brésil représente à lui seul 50% du PIB de l’Amérique du Sud. La puissance économique US est fondée sur une économie diversifiée, une main d’oeuvre qualifiée (Brain drain) et entreprenante et surtout une très forte capacité d’innovation (GAFA).
C’est dans le domaine agricole que l’économie brésilienne dispose de ses principaux atouts à l’exportation et concurrence les EU dans certains domaines comme le soja ou l’élevage (au total, la part des EU dans les exportations agricoles mondiales est aujourd’hui deux fois supérieure à celle du Brésil contre 4 il y a 30 ans. EU = 1er exportateur, B = 4e). Comme les EU (1er producteur mondial de pétrole), le Brésil est aussi un grand pays minier (2e exportateur de fer, dispose également de réserves en pétrole qui devraient le hisser selon les estimations au 4e rang mondial d’ici 2030), Cependant, la puissance brésilienne ne repose pas uniquement sur l’exploitation de ses ressources naturelles. Le développement économique brésilien a hissé le pays en puissance financière en devenir (doc.5) : aujourd’hui la bourse de Sao Paulo est la 9e place financière mondiale certes encore très loin des capitalisations à Wall Street : 10% environ du NYSE. La croissance de l’économie brésilienne (certes en forte baisse depuis 2011 et entré en dépression depuis 2014) attire les IDE. (le Brésil attire 40% des IDE vers l’Amérique latine alors que les EU restent le premier récepteur mondial) mais le Brésil s’est aussi mué en pays investisseur y compris aux EU (doc.6 p.225)

Les deux pays sont engagés dans des processus d’intégration économique régionales, espaces qu’ils dominent respectivement : ALENA et MERCOSUL.

B. L’attractivité culturelle

Le soft power états-unien n’est plus à démontrer. Premier pays exportateur de films, foyer des nouvelles tendances de l’industrie musicale depuis le début du XXe siècle, premier pays pour le nombre de prix Nobel. La culture américaine est dominante tant sur le plan de la culture dite “populaire” que de la culture scientifique. Existe-t-il un soft power brésilien ? 
Doc.12 p.227. Si le Brésil n’est pas très présent dans l’industrie cinématographique (80 films par an contre près de 500 pour les EU) son audience est beaucoup plus grande dans le domaine des séries télévisées et constitue un redoutable concurrent pour les séries américaines sur les marchés des PED. Les télénovélas brésiliennes sont produites en portugais et en espagnol pour l’exportation dans toute l’Amérique latine et dans la péninsule ibérique. L’Afrique est devenue également une grande consommatrice de séries brésiliennes en raison de leur coût inférieur par rapport aux séries US. L’image internationale de la culture brésilienne est aussi véhiculée par la musique (samba, bossa nova,...) ou par le football (Le Brésil est le premier exportateur mondial de footballeurs et a accueilli en 2014 sa première CdM et en 2016 les JO).

II. Deux puissances néanmoins très inégales

A. La suprématie militaire incontestée des EU

Doc.16 p.228+ 1 p.233. La puissance américaine s’appuie sur un formidable appareil militaro-industriel fondement du hard power américain. Avec plus de 43% des dépenses militaires mondiales contre moins de 2% pour le Brésil les EU restent de très loin la première puissance militaire mondiale. Les EU dépensent proportionnellement une plus grande part de leur PIB dans l’armement que la moyenne mondiale (environ 2x plus) ce qui leur permet de maintenir leur avance alors que le Brésil au contraire investit moins que la moyenne mondiale. L’incapacité brésilienne de maintenir ses ambitions est symbolisée par le démantèlement du porte-avion Sao Paulo, ancien navire français acheté en 2000 à la France faute de capacité financière pour assurer son entretien. L’acquisition d’un porte aéronef à la GB en 2018 doit permettre de limiter la baisse de capacité de projection de la marine britannique. Le Brésil reste donc dépendant des importations pour l’équipement de son armée. Ainsi, l’aviation militaire sera dotée d’avions suédois Gripen, moins performants que ses concurrents états-uniens mais beaucoup moins chers. En outre, les EU se sont dotés depuis la guerre froide d’un réseau d’alliances militaires et de pays affidés sur les différents continents alors que le Brésil ne dispose pas de ce type de partenariats stratégiques.  

B. Une inégale influence politique

Les EU disposent du premier réseau diplomatique au monde avec une présence diplomatique dans 188 pays. C’est aussi évidemment un membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU et le premier contributeur financier de l’organisation (doc. 18 p.229) ce qui lui donne un pouvoir de pression sur elle.
Faible militairement, le Brésil n’en cherche pas moins à renforcer sa capacité d’influence à l’aide d’une diplomatie très active et plus ciblée que celles des EU (voir le doc. 17 p.229 qui retrace les déplacements du président Lula sous sa présidence de 2002 à 2010). Le Brésil regarde d’abord vers son espace continental et cherche à constituer un contrepoids face aux EU en Amérique latine. Le Brésil cherche également à renforcer ses liens avec l’UE, les autres émergents (d’abord au sein du forum IBSA lancé par Brasilia en 2003 puis en intégrant les pays du BRICS doc.2 p.233) et l’Afrique car le Brésil semble vouloir s’affirmer comme la 1e puissance politique parmi les pays du Sud. Le Brésil réclame depuis plusieurs années un siège de membre permanent au conseil de sécurité de l’ONU alors qu’il est, avec le Japon, le pays ayant siégé le plus grand nombre de fois en tant que membre non permanent. Depuis son élection en 2018, le président nationaliste Jair Bolsonaro remet en cause la stratégie diplomatique développée depuis 20 ans par le Brésil en remettant en cause le multilatéralisme quitte à se fâcher avec ses partenaires économiques, l'UE en particulier. 

C. L’inégale puissance économique

Si le Brésil a connu une croissance annuelle moyenne supérieure aux EU ces deux dernières décennies (3,3% en moyenne annuelle de  1995 à 2011 contre 2,5 pour les EU) cela ne suffit pas pour contester la suprématie économique des EU. Doc.2 p. 89 : 133 FTN US contre 7 pour le Brésil (exclusivement secteur énergétique et minier, banque et agro-alimentaire donc une économie moins diversifiée que l’économie américaine notamment dans le domaine des services). Le Brésil est absent du secteur des TIC et ne peut pas s’appuyer sur un mo aussi qualifiée que celle des EU : 14% de la mo diplômée du supérieur du G20 est états-unienne et 3% est brésilienne. Le dollar, première monnaie de réserve et de change, reste un outil de la puissance US qui lui permet d’ailleurs de financer une grande partie de sa dette.

Le Brésil reste par ses indicateurs de développement un pays rattaché au Sud : 84e pays au monde pour le PIB/hab (13e pour les EU en 2017 pour le FMI) et 79e pour l’IDH (11e pour les EU en 2015). La situation brésilienne empire qui plus est du fait de la crise économique que traverse le pays dans la décennie 2010 alors que les EU sont sortis de la récession et affichent une relative santé économique (2.3% de croissance en 2017, faible chômage). Toutefois, les deux pays se rejoignent sur le plan des inégalités socio-économiques intérieures : le coefficient de Gini est dans les deux pays élevé signe des importantes inégalités sociales.

III. Les limites de la puissance

A. Les limites de la puissance états-unienne

Les attentats du 11 septembre 2001 ont révélé aux Etats-unis la virulence du rejet de leur modèle civilisationnel et politique dans le monde et plus particulièrement dans les pays musulmans mais aussi dans ses aires d'influence traditionnelle notamment l'Amérique latine. Les décisions politiques qui ont suivi, notamment une certaine évolution vers l’unilatéralisme entrant en contradiction parfois avec le droit international (invasion de l’Irak sans autorisation de l’ONU, usage de la torture, détentions arbitraires et humiliantes à Guantanamo ou Abou Ghraib, refus de ratifier le TPI) ont alimenté cette défiance à l’égard des EU. Les décisions récentes et le langage parfois ordurier du président Trump confortent les ennemis et attisent l'inquiétude parmi les alliés traditionnels des EU. Sur le plan économique, la crise financière de 2008 a révélé quant à elle la fragilité de l’économie états-unienne notamment l’excès de sa dette financée en grande partie par des pays étrangers, la Chine notamment, source potentielle de dépendance à terme.

B. Les limites de la puissance brésilienne

La comparaison avec les EU permet de mesurer toute la différence qui sépare une puissance installée d’une puissance émergente qui, malgré ses ambitions, est loin de pouvoir prétendre au statut de puissance complète. La faiblesse des moyens militaires du pays et l’essoufflement actuel de sa croissance économique ralentissent ses ambitions. En outre, les profondes inégalités socio-spatiales (favelas, inégalités entre sud développé et nord du pays pauvre) peuvent constituer un frein à l’extension de sa puissance car le pays doit d’abord se concentrer sur ses problèmes internes (lutte contre l'analphabétisme qui concerne encore 9% de Brésiliens, criminalité et violence, sous-alimentation,...). Sur le plan culturel, l’influence brésilienne est limitée par la faible diffusion de sa langue en dehors des pays lusophones (Portugal, Angola, Mozambique, Cap-Vert).

C. Deux puissances contestées dans leur aire continentale

Notons également que la puissance US est contestée sur son propre espace continental : contre-poids brésilien, ALBA, échec du projet de ZLEA.

Le Brésil jouit plutôt à l’international d’une image positive notamment en Afrique mais sur son continent, il n’arrive pas à constituer un vrai leadership. Si les autres pays latino-américains soutiennent le Brésil dans son entreprise de contestation de l’hégémonie des EU en Amérique, ils sont beaucoup moins prompts à soutenir les ambitions du Brésil à s’ériger comme grande puissance comme en attestent le manque de soutien à l’ONU pour appuyer la réforme du Conseil de sécurité. La diversité des organisations régionales américaines (ALBA, communauté andine) peut être aussi lue comme un moyen d’échapper non seulement au giron des EU mais aussi du Brésil. 



La crise protéiforme que traverse le Brésil depuis le début des années 2010 à la fois économique, sociale et politique remet fortement en question la capacité de ce pays à se poser comme une puissance d'influence mondiale. D'ailleurs, l'arrivée au pouvoir de J. Bolsonaro en 2019 traduit non seulement la profonde division de la société brésilienne mais aussi la fin d'une voix autonome au sein de l'espace américain. Le nouveau président, proche des idées de Donald Trump, s'est engagé vers un rapprochement avec les Etats-unis rompant ainsi avec la politique d'indépendance nationale et de puissance émergente menée sous la présidence Lula. Peut-on encore parler de rôle mondial brésilien dans ces conditions ? 



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